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A 8h45 sur France Inter AUGUSTIN TAPENARD a lu tous les matins durant le confinement

des Lettres que des écrivains adressaient à une personne de leur choix

Ici celle de Yasmina Khadra

 

Ma chère petite maman,

Depuis quelques jours, je suis confiné chez moi à cause du coronavirus. L’enfermement est devenu une habitude, pour moi. Je sors rarement. Le temps parisien ne se prête  guère à un enfant du Sahara qui ne reconnaît le matin qu’à sa lumière éclatante et qui a toujours rangé la grisaille du côté de la nuit. Je suis en train de terminer un roman — le seul que j’aurais aimé que tu lises, toi qui n’as jamais su lire ni écrire. Un roman qui te ressemble sans te raconter et qui porte en lui le sort qui a été le tien. Je sais combien tu aimais la Hamada où tu adorais traquer la gerboise dans son terrier et martyriser les jujubiers pour quelques misérables fruits.

Eh bien, j’en parle dans mon livre comme si je cherchais à revisiter lieux qui avaient compté pour toi. Je parle des espaces infinis, des barkhanes taciturnes, des regs incandescents et du bruit des cavalcades. Je parle des héros qui furent les tiens, de Kenadsa et de ses poètes, des sentiers poussiéreux jalonnés de brigands et des razzias qui dépeuplaient nos tribus.

 

C’est toi qui m’as donné le courage de m’attaquer enfin à cette épopée qui me hante depuis des années. Je craignais de n’avoir pas assez de souffle pour aller au bout de mon texte, mais il a suffi que je pense à toi pour que mes peurs s’émiettent comme du biscuit. Chaque fois que j’emprunte un chapitre comme on emprunte un passage secret, je perçois une présence penchée par-dessus mon épaule. Je me retourne, et c’est toi, ma maman adorée, ma petite déesse à moi. Je te demande comment tu vas, Là-haut ?

 

Tu ne me réponds pas Tu préfères regarder l’écran de mon ordi en souriant à cette écriture si bien agencée dont tu n’as pas les codes. Je sais combien tu aimes les histoires. Tu m’en racontais toutes les nuits, autrefois, lorsque le sommeil me boudait. Tu posais ma tête sur ta cuisse et tu me narrais les contes berbères et les contes bédouins en fourrageant tendrement dans mes cheveux.

 

Et moi, je refusais de m’assoupir tant ta voix était belle. Je voulais qu’elle ne s’arrête jamais de bercer mon âme. Il me semblait, qu’à nous deux, nous étions le monde, que le jour et la nuit ne comptaient pas car nous étions aussi le temps. C’est toi qui m’a appris à faire d’un mot une magie, d’une phrase une partition et d’un chapitre une saga. C’est pour toi, aussi, que j’écris. Pour que ta voix demeure en moi, pour que ton image tempère mes solitudes.

 

Toi qui frisais le nirvana lorsque tu te dressais sur la dune en tendant la main au désert pour en cueillir les mirages; toi qui ne pouvais dissocier un cheval qui galopait au loin d’une révélation divine, tu te sentirais dans ton élément dans ce roman en train de forcir et tu ferais de chacun de mes points d’exclamation un point d’honneur.

 

Comment oublier l’extase qui s’emparait de toi au souk dès qu’un troubadour inspiré se mettait à affabuler en chavirant sur son piédestal de fortune ? Pour toi, comme pour Flaubert — un roumi qui n’était ni gendarme ni soldat, rassure-toi — tout était vrai. Étaient vraies les légendes décousues, vraie la rumeur abracadabrante, vrai tout ce qui se disait parce que, pour toi, c’était cela le pouls de l’humanité. Quand il m’arrive de retourner à Oran, je vais souvent m’asseoir à notre endroit habituel et convoquer nos papotages qui se poursuivaient, naguère, jusqu’à ce que tu t’endormes comme une enfant.

 

C’était le bon vieux temps, même s’il ne remonte qu’à deux ans — deux ans interminables comme deux éternités. Nous prenions le frais sur la véranda, toi, allongé sur le banc matelassé et moi, tétant ma cigarette sur une marche du perron, et nous nous racontions des tas d’anecdotes en riant de notre candeur. Tu plissais les yeux pour mieux savourer chaque récit, le menton entre le pouce et l’index à la manière du Penseur. Mon Dieu ! Que faire pour retrouver ces moments de grâce ? Quelle prière me les rendrait ? Mais n’est-ce pas dans l’ordre des choses que de devoir restituer à l’existence ce qu’elle nous a prêté ? On a beau croire que le temps nous appartient, paradoxalement, c’est à lui que revient la tâche ingrate de séparer à jamais ceux qui se chérissent. Ne reste que le souvenir pour se bercer d’illusions.

 

Ma petite maman d’amour, depuis que tu es partie, je te vois dans toute grand-mère ? Qu’elles soient blondes, brunes ou noires, il y a quelque chose de toi en chacune d’elles. Si ce ne sont pas tes yeux, c’est ta bouche; si ce n’est pas ton visage, ce sont tes mains; si ce n’est pas ta voix, c’est ta démarche; si ce n’est rien de tout ça, c’est l’émotion que tu as toujours suscitée en moi. Et pourtant, partout où je vais, même là où il n’y a personne, c’est toi que je vois me faire des signes au fond des horizons. Tantôt étoile filante dans le ciel soudain triste que tu lui fausses compagnie, tantôt île de mes rêves au milieu d’un océan de tendresse aussi limpide que ton cœur, tu demeures mon aurore boréale à moi. Si je devais un jour te rejoindre, maman, je voudrais qu’il y ait une part de nous deux dans tout ce qui nous survivrait. Puisque seul l’amour sait nous raconter à ceux qui savent écouter.

 

La lettre de Yasmina Khadra est ici présentée dans sa version intégrale

Yasmina Khadra est le nom de plume de l'écrivain algérien Mohammed Moulessehoul, né le 10 janvier 1955 à Kenadsa, dans l'actuelle wilaya de Bechar dans le Sahara algérien.

 

 POUR EN SAVOIR PLUS

Maurice Carême qui nous a tous accompagnés dans nos livres d’écoliers est né le 12 mai 1899.

En 1914, il écrit ses premiers poèmes, Il est nommé instituteur en septembre 1918 à Anderlecht-Bruxelles.

Il quitte Wavre pour s’installer dans la banlieue bruxelloise.

L’année suivante, il dirige une revue littéraire, Nos Jeunes, qu’il rebaptise en 1920 La Revue indépendante.

Son premier recueil de poèmes, 63 Illustrations pour un jeu de l’oie, paraît en décembre 1925. Entre 1925 et 1930, il est fasciné par les mouvements surréalistes et futuristes.

Il publie, en 1926, Hôtel bourgeois, en 1930, Chansons pour Caprine où apparaissent les reflets d’une vie sentimentale assez douloureuse, puis, en 1932, Reflets d’hélices.

En 1930, il fait une découverte qui va s’avérer essentielle pour toute sa démarche poétique – voire romanesque – celle de la poésie écrite par les enfants. C’est, pour Maurice Carême, une remise en question fondamentale au cours de laquelle il revient à une grande simplicité de ton. Il publie deux essais consacrés à ces textes d’enfants en 1933

Il fut avec. L’un des fondateurs du Journal des poètes, en 1931.

 

Le recueil Mère paraît en 1935. La simplicité profonde des vers lui vaut d’être remarqué par de nombreux critiques littéraires parisiens, dont celui du Mercure de France. L’œuvre reçoit, en 1938, le Prix Triennal de poésie en Belgique et inspire à Darius Milhaud sa Cantate de l’enfant et de la mère (Première mondiale au Palais des Beaux-arts de Bruxelles, le 18 mai 1938).

En 1943, Maurice Carême quitte l’enseignement pour se consacrer entièrement à la littérature..

 

En 1947, paraît La lanterne magique. L'impact sur la jeunesse est immédiat. Les enfants se reconnaissent littéralement dans cette œuvre. Rapidement, le nom de Maurice Carême se voit associé grâce à cet aspect de l'œuvre à celui de poète de l'enfance. De nombreuses œuvres paraissent et sont couronnées par des prix littéraires en Belgique et à l’étranger. 

 

A la Pentecôte 1954, Maurice Carême fait un premier séjour à l’abbaye d’Orval. C’est le début d’une période d’intense créativité, doublée d’une patiente mise au point de l’œuvre, qui ne s’interrompra qu’avec la mort.

A Orval, il écrit Heure de grâce qui paraît en 1957. Maurice Carême approfondit la lecture des grands mystiques, des philosophes, des sages de l’Inde, de la Chine, se penche sur le Zen, reprend les œuvres de Teilhard de Chardin, de Rabindranath Tagore.

 

Le 9 mai 1972, il est nommé Prince en poésie à Paris. Il crée le 4 décembre 1975 la Fondation Maurice Carême, fondation d’utilité publique. Il meurt le 13 janvier 1978 à Anderlecht laissant onze œuvres inédites parmi les plus graves qu’il ait écrites. Il est enterré à Wavre dans un lieu où il a joué, enfant (Mausolée Maurice Carême).

 

L’œuvre de Maurice Carême comprend plus de quatre-vingts recueils de poèmes, contes, romans, nouvelles, essais, traductions. Elle n'a cessé de fasciner les musiciens tant les compositeurs que les chansonniers. © Le Berrurier

 

Merci pour votre lecture et interêt.

 

Patricia

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